Méfiez-vous des gens qui disent aimer le peuple et prétendent tout savoir de ce que le peuple aime

Méfiez-vous des gens qui disent aimer le peuple et prétendent tout savoir de ce que le peuple aime

Bienvenue sur Tourniquet, l’infolettre d’Olivier Niquet sur la bêtise médiatique et politicienne, l’urbanisme et le libertinage (en tout cas, pour cette fois-ci).

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Linguistique

Petit retour sur cette histoire de linguiste dont je vous parlais la semaine dernière et qui citait plusieurs expressions québécoises qui n’existent pas. Sur son blogue, le professeur Benoît Melançon est aussi sceptique et rappelle que ce même linguiste avait été cité par Christian Rioux il y a quelque temps:

Il est vrai que Bernard Cerquiglini est contre l’entrée de iel dans la nomenclature. Il convoque pour justifier son refus des arguments historiques. Il a ainsi déclaré à BFMTV que ce pronom ne correspond pas au «système de la langue» tel qu’il existe «depuis 2000 ans» (c’est ici). On aimerait bien savoir de quelle langue il s’agit, le français n’existant pas il y a 2000 ans.

Bref, les assises du monsieur ne semblent pas toujours solides.

Mépriser le monde

Il m’arrive souvent de me demander si le travail que je fais donne l’impression que je méprise le monde. Parfois, il y a des gens qui évoquent cette idée dans leurs commentaires TikTok incohérents et mal orthographiés (est-ce que je méprise le monde en disant ça?). D’autres fois, je lis ou j’entends des personnalités publiques dire que les médias snobent le vrai monde. Je vous assure que dans mon for intérieur, je n’ai absolument aucun dédain du vrai monde. J’ai même un ami qui est du vrai monde!

Je me rends compte que c’est le discours de bien des gens pour expliquer les problèmes des médias. J’écoutais cette semaine Réjean Tremblay qui faisait un laïus sur la « débandade des grands médias ». L’animatrice (Josey avec un ‘y’) lui disait que deux moments lui avaient fait décrocher des médias: la crise étudiante de 2012 et la pandémie. Elle semble oublier qu’elle travaillait elle-même pour Cogeco entre 2006 et 2019, mais bon.

Ces deux moments lui auraient fait réaliser que les élites, plus précisément celles du Plateau, méprisaient les gens comme elle. Ne notant pas l’ironie de pester contre Guy A. Lepage qui a fait beaucoup d’argent avec les droits d’auteurs, il en a profité pour dénoncer les humoristes sur le Plateau de Tout le monde en parle qui se sont moqués de l’homme d’affaires Luc Poirier. Selon lui, se moquer d’un entrepreneur, c’est se moquer de tous les entrepreneurs. C’est le même discours que j’ai entendu plusieurs fois à Radio X: ils rient de nous à Radio-Canada, ça veut dire qu’ils rient de vous, les auditeurs.

Pourtant, ça n’a rien à voir. Les médias peuvent certainement se poser des questions sur leur déconnexion d’avec une certaine partie de la population. Cette déconnexion existe et c’est sain de le faire. Mais je pense que ce n’est pas le plus gros problème auquel ils font face. Le plus gros problème, ce sont les nouvelles figures médiatiques qui monétisent l’ignorance d’une partie du monde en trafiquant l’information pour faire de l’argent. La révolution que Réjean Tremblay décrit en vantant les mérites de Tucker Carlson et des autres entrepreneurs médiatiques est basée sur leur affranchissement des règles du journalisme pour miser sur l’engrenage de la recherche d’attention. Plus tu parles à des gens louches qui suscitent des réactions, plus tu attires des publicitaires, plus tu invites des gens louches qui attirent l’attention. C’est bien expliqué dans cette vidéo (si vous comprenez l’anglais):

On dirait que c’est plus crédible quand c’est un mec avec de gros bras qui explique ça dans un gym. Il en faut plus, des gens qui font des petits dessins, sur un tableau.

Ça m’amène à un autre élément dans cette histoire de mépris. René Lévesque (il faisait des petits dessins sur des tableaux lui aussi) a déjà dit:

« Méfiez-vous des gens qui disent aimer le peuple,
mais qui détestent tout ce que le peuple aime. »

C’est bien vrai. Mais il y a une autre chose dont il faut se méfier. Il faut se méfier des gens qui prétendent savoir ce que le peuple aime. Quand Réjean Tremblay parle du peuple dans son manoir floridien ou quand un animateur de radio présume que telle ou telle chose n’intéresse pas le vrai monde, une alarme dans notre cerveau devrait sonner. Ce ne serait pas plutôt ces personnes qui prennent le vrai monde pour de maudits colons en supposant qu’ils sont incapables de penser plus loin que le bout de leur nez? Les gens ne sont pas des caves. Certains, parce qu’ils n’ont pas eu les mêmes privilèges que d’autres, parce qu’ils n’ont pas le temps de s’informer sur tous les dossiers, se fient sur les charlatans de la vérité qui les entraînent dans leurs lubies mésinformées. Un prêt-à-penser bien commode.

Ce sont eux qui méprisent le peuple. Petit exemple encore cette semaine de Jérôme Blanchet-Gravel, un de ces entrepreneurs médiatiques révolutionnaires:

Les gens sont donc trop cons pour songer à l’avenir de la nation, selon lui.

L’histoire d’amour avec la voiture

Ce que le peuple aime, c’est parfois aussi ce qu’on l’a forcé à aimer. Les chars par exemple. J’ai beaucoup aimé ce texte de Taras Grescoe dans L’actualité, comme tous ses textes d’ailleurs. Il (je viens de réaliser que c’était un homme) y explique comment notre histoire d’amour avec l’automobile a été mise en scène dans les années 60 par ce qu’il appelle le Motordom. Grescoe tente de « dédômiser » ça:

« Dans un effort soutenu et concerté, les constructeurs automobiles, les clubs automobiles et les ingénieurs de la circulation — une cabale d’intérêts que Norton appelle « Motordom » — se sont unis pour usurper l’ancienne suprématie des citoyens sur la chaussée, et ont ainsi réussi à confiner les piétons aux passages qui leur sont réservés aux coins des rues. Ils ont transformé les voies autrefois partagées par les joueurs de stickball, les cyclistes et les vendeurs de rue en voies motorisées et en stationnements pour les véhicules privés, et les piétons ont hérité du surnom de jaywalkers (« jay » était un terme injurieux désignant un type rural, un plouc maladroit, qui ne connaissait pas les usages de la ville). »

Les gens étaient en amour avec leurs quartiers, mais la propagande de l’industrie les a « matché » avec un nouveau mode de transport. Joyeuse Saint-Valentin!

Ils ont aussi eu la peau des tramways, comme on peut l’entendre dans cet épisode du balado Affaires sensibles de France Inter (dont je trouve l’animateur un peu weird). Il y est question du « complot » de l’industrie pétrolière et caoutchoutière pour faire disparaître les tramways. Un complot de l’industrie caoutchoutière, voilà tout un rebondissement.

Tout ça pour dire qu’on induit des choses à aimer au peuple et après, on vilipende ceux qui contestent ces paradigmes. Oui, j’ai écrit le mot « paradigmes » (reste à savoir si c’est à bon escient).

Plogues

Légitimisation

Les maires communistes (dixit Réjean) sont peut-être finalement conservateurs. Ils veulent revenir au bon vieux temps. Ça ne plaît pas à Jacinthe-Ève Arel, qui collabore à Zone Info de RDI, mais aussi au balado de Ian et Frank (le dédômiseur de tout à l’heure). Selon ce qu’elle y a dit, les gens qui sont passionnés par les questions environnementales devraient travailler en environnement, pas devenir maires. Encore une fois ici, je me demande comment ceux qui se réclament des sciences économiques ne voient pas les bénéfices à long terme d’avoir des villes plus fluides, moins polluantes et donc, des populations plus en santé, mais bon. Ce sont surtout les accointances de Mme Arel qui me surprennent. Avec les wannabes Tucker Carlson comme Ian et Frank, mais aussi sur les réseaux sociaux, avec ses retweets louches.

Elle retweet Robert F. Kennedy Jr! La liste des complots qu’il a déjà évoquée est pourtant impressionnante.

Oui à la diversité d’opinions, mais il y a sûrement des gens qui ont des opinions semblables et qui ont le jugement de ne pas relayer ce genre de folies.

Libertinage

Je suis aussi pour la liberté d’opinion dans le sexe, en passant. À ce sujet, un beau reportage sur le libertinage moderne dans Urbania.

Proton

J’utilise Proton pour mes courriels depuis un petit bout et j’en suis très satisfait. Parce que c’est sécuritaire et parce que je peux utiliser une adresse de courriel personnalisée et vaniteuse pour me penser bon.

La semaine dernière, un concurrent de Proton, Swift, a été acheté par Notion qui est derrière l’application du même nom. Aussitôt, les usagers de Swift ont appris que leur adresse ne serait plus fonctionnelle dans quelques mois. Sur Reddit, Proton a répondu aux gens qui s’inquiétaient de voir Proton faire de même:

Ça me rassure un peu quand même.

Musique

Ces bons vieux Galaxie sont de retour!

Citations

🔈 Mathieu Bock-Côté, à propos du règlement d’Outremont qui interdit de laisser tourner son moteur

On est devant une manifestation de ce qu’il faut bien nommer la tentation autoritaire des écologistes. […] Il va falloir qu’on comprenne que nos démocraties sont en danger de l’intérieur. Et parmi les idéologies qui détruisent nos démocraties, il y a l’écologisme autoritaire. […] La multiplication des règles et des normes, tout ça, ça fait une société de plus en plus étouffante et invivable.

🔈 Christian Dubé, en VHS

Des gens qui ont des maladies chroniques par exemple, des gens qui pourraient avoir un cancer ou qui pourraient par exemple avoir le VHS.

🔈 Denis Coderre, qui décrit le destin du Québec

Moi, je pense que le destin des Québécois, c’est de manger trois fois par jour. Ce n’est pas de se demander, si le toit coule, on va mettre la maison à terre.

🔈 François Legault, cool

Il y a des jeunes, malheureusement, qui trouvent ça cool de sortir des mots en anglais.

🔈 Geneviève Guilbault, qui a une preuve de son intégrité

Je suis une personne intègre. La première fois que j’ai fait campagne en politique en 2017 dans une élection partielle, le thème de ma campagne, c’était « intègre ». Si vous retrouvez mes vieilles pancartes, c’était le thème « intègre » et j’étais sur ma pancarte.

🔈 Jérôme Landry, à propos de l’ajout de pistes cyclables à Québec

En passant, il y en a eu une guerre à l’auto à Québec, mais c’est juste qu’eux autres ils l’appellent pas guerre à l’auto, ils l’appellent réaménagement urbain. […] C’est quoi un réaménagement urbain? Ben, c’est enlever de la place aux autos, c’est mettre des plantes dans la rue, c’est mettre un piano dans la rue, c’est mettre des pistes cyclables, c’est mettre des trottoirs plus larges. C’est un peu le principe de la guerre à l’auto: la rue conviviale.

🔈 Dominic Maurais, à propos du règlement d’Outremont qui interdit de laisser tourner son moteur

À Outremont, qui a décidé que c’est 10 secondes? On est devant un contingent de maudites moumounes et de maudites gangs de peureux et d’anxieux et de pas bons qui contrôlent la société.

🐦 Jean Tremblay, critique de mode

J’aime beaucoup Céline Dion et j’ai de la compassion pour sa maladie, mais elle aurait pu enlever sa robe de chambre pour aller au Grammy Awards.

🔈  David Santarossa, qui a un bon argument contre l’enseignement de la diversité sexuelle

Je lisais en fin de semaine Isabelle Hachey dans La Presse qui parlait de cette question-là, qui disait que ce n’est pas de l’endoctrinement de parler de diversité sexuelle, en fait, c’est même une très bonne chose. La civilisation occidentale existe depuis grosso modo 2000–2500 ans, on n’a jamais parlé de diversité sexuelle aux enfants et on s’est rendu quand même 2 500 ans plus tard.

🔈 Mathieu Bock-Côté, qui estime que la droite brûle des livres par mimétisme

– Eh bien, j’ai l’impression qu’il y a une certaine droite, une droite trumpienne, qui se dit « d’accord, vous voulez tout politiser, parfait, on va tout politiser de notre côté et on va se mettre à brûler des livres qui parlent de diversité sexuelle ». Là, on en est rendu là, je pense.
– […] La volonté de faire multiplier les autodafés, ça vient globalement d’une gauche qu’on dit woke, vous me direz si le terme est bon pour en parler, et là, il y a un effet mimétique, où de l’autre côté, ils disent « on va brûler des livres », et finalement, c’est la culture du pluralisme intellectuel qui se décompose?
– Oui, voilà.

🔈 Stéphan Dupont, qui a une nouvelle proposition de transport collectif

Avez-vous vu le bel autoroute et l’efficacité de ce secteur-là? C’est incroyable! En montant la côte, des fois, ça va rétrécir, puis évidemment que ça bouche au pont, mais quand même, on a fait des améliorations et le nombre de voitures ne diminue pas. Peut-être que le vrai moyen de transport collectif, s’il n’est pas collectif, C’est que chacun ait notre voiture électrique, ou chacun ait notre moyen de transport.

🔈 Éric Duhaime, qui trouve que QS ressemble au PLQ et qui propose donc qu’il fusionne avec… le PQ

QS, c’est les gradués de l’UQAM, des fois, souvent, pis j’ai l’impression que c’est la même version anglophone qui sort de Concordia, qui est devenue le Parti libéral du Québec. Et s’il y a une fusion à y avoir entre deux partis présentement, je vois les mamours que Québec solidaire et le Parti québécois se font, je pense que c’est plus de ce côté-là qu’il faudrait regarder.

🔈 Stéphane Lauzon, euphorique à propos d’ArriveCAN

On peut resserrer les normes, on peut resserrer nos décideurs qui vont faire en sorte qu’on fasse mieux, et on a déjà commencé à faire le pas. Mais c’est assez euphorique d’entendre mes collègues dire qu’on aurait dû peut-être faire confiance à deux jeunes dans un sous-sol. Imaginez-vous si les libéraux auraient donné à deux jeunes dans un sous-sol à faire une application.

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