L'infolettre pour sauver l'humanité, la balkanisation des médias et le salaud sartrien

L'infolettre pour sauver l'humanité, la balkanisation des médias et le salaud sartrien

D’abord, bienvenue aux auditeurs de La soirée est (encore) jeune qui se sont abonné à cette infolettre après que j’en ai parlé la fin de semaine dernière en ondes. J’hésite parfois à parler de mes petits projets comme ça, d’abord parce que ce n’est pas très drôle et que La soirée reste une émission d’humour. Ensuite parce que je sais que ça n’excite pas vraiment les gens autour de la table. Mais quand vient le temps de raconter ce que j’ai fait pendant la semaine, il m’arrive de n’avoir rien fait d’autre pendant la semaine que d’avoir envoyé un courriel. Je me raisonne toujours en me disant qu’il y a des auditeurs à l’autre bout des ondes qui seront titillés.

N’empêche que je suis tombé sur cet article au sujet des infolettres qui résume bien l’intérêt de cet outil:

« La boîte de réception est l'un des rares endroits où vous avez réellement le contrôle de votre flux d'informations. Si vous voulez recevoir l’infolettre, abonnez-vous. Si vous ne souhaitez pas recevoir l’infolettre, désabonnez-vous. Mark Zuckerberg ne décide pas de ce qui est le plus susceptible d'apparaître dans votre flux de courriel. Les Russes ne mettent pas en place une campagne de désinformation dans votre boîte de réception. C'est votre boîte de réception et votre propre réseau antisocial privé. Vous êtes l'algorithme. C'est la raison principale pour laquelle plus le reste d'Internet devient bruyant, plus l’infolettre devient populaire. Et c'est pourquoi, pendant la pandémie, les manifestations de Black Lives Matter, l'élection présidentielle, le Big Lie et l'insurrection, alors que nous étions pulvérisés par une vague d'informations sans précédent, les infolettres semblaient être un répit bienvenu au bruit ambiant et sont devenues soudainement la plus grande nouveauté (mais loin d'être la plus récente) dans les médias. »

L’infolettre pourrait sauver le monde, donc. D’ailleurs, je vous invite à vous abonner à mon autre infolettre des citations de la semaine.

Balkanisation

Un autre texte qui m’a intéressé cette semaine est justement tiré d’une infolettre pointée par un lecteur. Dans la foulée du verdict de Kyle Rittenhouse, ce défenseur armé de la veuve et du vendeur de chars, l’auteur Jesse Singal a évoqué le concept de la balkanisation des médias:

« J'ai écrit deux fois sur cette affaire parce qu'elle démontrait, à un degré inquiétant, l'une de mes plus grandes craintes à propos de l'environnement médiatique actuel : ce qui ressemble à une accélération sans fin de la balkanisation. Nous semblons nous diriger vers un point où chaque actualité majeure génère au moins deux versions distinctes de la réalité qui sont sommairement adoptées comme vraies par de nombreux partisans. Et plus l'histoire est explosive, plus le désaccord sur les faits est grand. »

C’est aussi quelque chose que j’ai remarqué chez nous, même si l’équilibre est différent. J’ai l’impression qu’ici, 90% des gens suivent une version de la réalité, et 10% l’autre, alors que c’est plus serré aux États-Unis. Reste que systématiquement, ce qui se passe dans l’actualité sera traité de façon diamétralement opposée d’un média à l’autre.

Deux visions de la réalité, et des partisans de ces visions qui mettent entièrement de côté l’autre réalité. Comme un monde parallèle. S’ils sont conscients de l’autre réalité, c’est dans sa version telle que définie par ses opposants.

Par exemple, des animateurs de Radio X décrivent les autres médias avec les mêmes mots que j’utiliserais pour les décrire eux. Par exemple, Jeff Fillion:

« C’est des gens méchants que vous lisez, c’est des gens méchants qui vous guident à la télévision. Pis je suis pas certain que les Québécois ont cette méchanceté-là en eux. Mais les gens que vous appréciez qui vous disent pour qui voter, pour quoi penser, de trouver qui sont les bons et les méchants. Ben ces gens-là ils sont eux-mêmes les méchants. »

Au-delà du côté cours d’école (« t’es pas fin, t’es méchant »), dans mon esprit, c’est exactement ce que fait Jeff Fillion, offrir un prêt-à-penser pas particulièrement amical. J’aurais envie de lui répondre « celui qui l’dit, celui qui l’est ». Ma vision du traitement médiatique de la pandémie n’a rien à voir avec la sienne.

Il en va de même du parti d’Éric Duhaime.

M. Duhaime est pour la vaccination. Il est lui-même vacciné, quoique « philosophiquement non vacciné ». Mais tout à coup, pour se positionner différemment dans le débat public, il s’affiche contre la vaccination des enfants.

Un peu comme Jérôme Blanchet-Gravel qui lui continue de flirter avec le mouvement antivax. Avec plus de 1000 “likes”, on comprend qu’il a vu là un filon.

Salaud sartrien

Reste à savoir si ces gens-là croient ce qu’ils disent. J’ai l’impression que la plupart font du théâtre, mais je suis tombé sur un nouveau concept cette semaine. Celui de « salaud sartrien »:

« Le salaud, au sens sartrien du terme, c’est celui qui se croit, qui se prend au sérieux, celui qui oublie sa propre contingence, sa propre responsabilité, sa propre liberté, celui qui est persuadé de son bon droit, de sa bonne foi, et c’est la définition même, pour Sartre, de la mauvaise. Le salaud, au fond, c’est celui qui se prend pour Dieu (l’amour en moins), ou qui est persuadé que Dieu (ou l’Histoire, ou la Vérité)  est dans son camp et couvre, comme on dit à l’armée, ou autorise, ou justifie, tout ce qu’il se croit tenu d’accomplir. »

Est-ce que Fillion, Duhaime, Blanchet-Gravel, au nom de leurs idéaux libertariens ou conservateurs, croient qu’il leur est permis de déformer la réalité, de jouer avec les émotions des gens pour qu’ils adhèrent à leur cause, peu importe les impacts négatifs sur la société? Que la fin justifie les moyens?

Peut-être. Mais je ne crois pas qu’ils soient des idéologues plus que des pigistes qui veulent faire fructifier leur notoriété.

S’il vous reste du temps...

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