Je vous offre cette semaine un petit état du monde et des mondes parallèles dans lesquels nous vivons. Et pour les abonnés premium, une courte anecdote sur le retour de Jean-Philippe à La journée.

Vent de désespoir

Je prends quelques instants en cette fin d’année pour vous faire un portrait de notre monde tel que je le conçois. Un genre de bilan, mais pas vraiment. Un portrait basé sur ce que je vis, qui n’est peut-être pas ce que vit la moyenne des ours, j’en conviens. Dans le sens que j’évolue dans un milieu hyper informé et très branché sur les réseaux sociaux. Je passe ma vie à observer et absorber ce qui se dit dans l’écosystème médiatique. Ce n’est sans doute pas votre cas (et je vous envie parfois).

Mais le monde dans lequel j’évolue change et tranquillement, ce monde transforme nos réalités. Ce qui se passe aux États-Unis est en train de se mettre en place ici. Cette semaine, Radio-Canada publiait un très bon dossier sur les influenceurs MAGA qui gagnent en pouvoir.

« Si le nombre d’abonnés est important pour ces personnalités, la rétention de cet auditoire est au cœur de leur stratégie numérique. « Vous pouvez avoir seulement 3 millions d'abonnés YouTube, mais s'ils vous regardent pendant trois heures, cela a beaucoup plus d'impact que si vous aviez 10 millions d'abonnés », illustre Reece Peck, professeur adjoint au College of Staten Island. Selon l’expert en journalisme et en communication politique, les contenus à saveur conservatrice dominent actuellement sur les réseaux sociaux. »

C’est un modèle qu’on essaie d’imposer dans tous les pays et le Québec ne fait pas exception. L’objectif est d’arracher des parts d’écoute aux médias traditionnels. Pionnier plagiaire de ce qui se passe aux États-Unis, Jeff Fillion incite depuis des années ses disciples à se déconnecter des médias traditionnels. Plusieurs de ceux qui sont allés à son école et qui prennent leur place dans la sphère dite des médias alternatifs suivent ses pas.

Leur objectif est d’attirer dans leur monde parallèle des gens en leur disant: arrêtez d’écouter les médias traditionnels, nous on va vous dire ce que vous voulez entendre. Le but n’est pas le bien, mais votre bien. C’était mieux dans le temps où les hommes dominaient. Les gouvernements volent votre argent. Vous avez le droit de brûler du gaz parce que de toute façon, on compte pour des pinottes. Vous avez l’doua.

Ces gens ont un énorme avantage vis-à-vis le reste des personnalités médiatiques: ils se crissent des réactions qu’ils suscitent. Encore mieux, ils s’épanouissent grâce à la colère qu’ils engendrent. Ça rend d’autant plus compliqué leur critique. Rien ne leur fait plus plaisir que d’être pointé du doigt. C’est un badge d’honneur: regardez, ils me donnent de l’attention, regardez, je suis une victime. Leurs disciples les écoutent et partent à la guerre.

De surcroît, les grandes plateformes de réseaux sociaux leur facilitent la tâche. Que dis-je, elles les propulsent. Les séquences vidéo tirées de mes chroniques que je publie sur les réseaux sociaux ne sont jamais aussi « populaires » que lorsqu’elles mettent en scène ces personnes. Éric Duhaime, Radio X, des influenceurs ou des complotistes: succès garanti. Tellement que j’en publie de moins en moins. Systématiquement, l’algorithme qui identifie ces individus dont il connaît le potentiel pousse ces contenus dans les fils de personnes qui ne connaissent pas mon travail et qui inondent la section des commentaires de leur colère désinformée. Je tombe dans leur safe space et ils virent sur le top.

Les influenceurs elvisgratonnesques et les plateformes qu’ils utilisent forment une alliance profitable. Même Emmanuel Macron n’a pas réussi à faire enlever une fausse nouvelle visionnées des millions de fois qui évoquait un coup d’État en France.

« Pour expliquer ce maintien de faux contenus sur les plateformes, malgré les signalements d’utilisateurs, il faut d’abord regarder du côté des algorithmes des réseaux sociaux. Ces derniers privilégient les contenus attirant les clics et les vues au détriment de la véracité, conduisant ainsi à une économie de la désinformation. »

Ces forces sont presque impossibles à contrer. Les ignorer leur donne le champ libre, les critiquer leur donne plus de visibilité. Ils en font leur gagne-pain. Dans les circonstances, même si je crois et milite pour une plus grande diversité médiatique, je pense qu’une société publique comme Radio-Canada qui n’a pas le seul profit comme motivation est nécessaire.

Ils sont d’autant plus efficaces qu’ils se basent sur ce qui est selon moi l’un des pires fléaux de l’humanité par les temps qui courent (et sûrement de tous les temps): l’incapacité de voir le portrait d’ensemble. Un déficit dans le sens des proportions. Les influenceurs mal-pensants exploitent cette réalité à fond en érigeant les anecdotes en phénomènes et la garnotte en montagnes.

En passant, j’ai souvent utilisé dans cette infolettre le terme « mal-pensant ». C’est parce que je trouve un peu ridicules les accusations de « bien-pensance » que nous sortent à tout vent ceux qui voient la compassion et l’empathie comme une tare. Or en écoutant un épisode de La science CQFD sur la guerre cognitive, j’ai pu entendre Bernard Claverie, professeur émérite de sciences cognitives à l’Institut polytechnique de Bordeaux, la décrite ainsi:

« Alors la guerre de l'information, c'est une guerre qui porte sur l'information qu'on va mettre dans les tuyaux, dans les réseaux, etc., dans la presse, et qui a pour but d'altérer en quelque sorte la pensée des individus et des groupes et de fabriquer une pensée qui est une malpensée en quelque sorte. On pense mal. Alors que la guerre cognitive, c'est quelque chose qui s'intéresse à la façon dont les cerveaux fonctionnent afin de les faire mal penser. Autrement dit, on est plus dans la guerre de l'information sur une déformation, en quelque sorte, de ce qui va permettre le raisonnement, alors que là, on attaque directement les structures mêmes qui font le raisonnement. »

C’est pourquoi je pense qu’il faut apprendre à nos jeunes à « raisonner » comme du monde. Il me semble qu’il faudrait imposer dès la maternelle (ok d’abord, la 3e année) des cours de statistiques pour que les prochaines générations cessent de se faire fourrer par les manipulateurs de l’opinion publique. Ça inclut les politiciens et les gouvernements qui utilisent des menaces factices à des fins électoralistes.

Se créent donc des mondes parallèles où des choses qui ne comptent que pour 1% sont dépeintes comme une menace civilisationnelle. Où des gens deviennent des monstres sur la base de trois captures écrans présentées comme des pièges à rage (c’est le mot de l’année). Il y a toutes sortes de petits mondes parallèles qui se côtoient et s’imbriquent. La rage sert au recrutement et les recrutés enragent lorsqu’ils sont soumis à la réalité du monde qu’ils ont quitté. Win-win.

Je vais devoir revenir à moi un peu ici, parce que c’est vraiment le sujet que je connais le mieux (ça et Canadien). J’ai toujours trouvé intrigant de lire des textes à mon sujet dans les médias, parce que souvent, j’ai eu l’impression que le journaliste était un peu à côté de la plaque. Quand un média parle de quelque chose que tu connais très très bien, c’est là que tu vois que ça peut être bancal. Ce n’est pas un reproche. Je ne parle pas ici de grosses erreurs de fait. Juste des perceptions.

Quand on tombe avec les gens qui ne font pas du journalisme, mais qui sont des guerriers culturels, la déformation est encore plus grande. Commençons avec l’influenceur vaccinosceptique Samuel Grenier qui me décrit ainsi à ses adeptes:

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Selon lui donc, je ne fais que parler d’Éric Duhaime tous les jours. Je reconnais d’ailleurs son discours dans les trolls qui viennent sur ma page chaque fois qu’il est question du chef du PCQ: « tu fais de l’acharnement », me disent-ils. Payé avec leurs taxes pour ne rire que d’une seule gang. Or, sur les 1775 clips que j’ai diffusés cette année à la radio, il y en avait 47 d’Éric Duhaime. C’est à peine 2%. Je dirais qu’il est presque sous-représenté en considérant sa position dans les sondages et le nombre faramineux d’entrevues qu’il donne. C’est à peu près l’équivalent du nombre de clips des représentants de QS que j’ai diffusés.

Ce sont des peccadilles à côté du nombre de clips me moquant de la CAQ, par exemple. Les fans de François Legault (si ça existe) ne s’en offusquent jamais. Même chose avec les libéraux. Même les péquistes, pourtant réputés pour leur intensité, ont un peu d’humour. En tout cas, ils ne sont pas indignés lorsqu’ils voient passer une citation d’un député péquiste sur mes pages. D’ailleurs, le concept de citation semble échapper à certains. Mais c’est une autre histoire.

Bref, parce que les influenceurs qu’ils suivent leur disent que je moque toujours des mêmes personnes avec leurs taxes, ils le croient. Ils ne font que répéter ce qu’ils entendent, sans réfléchir.

Samuel Grenier est une grenaille dans l’opinion publique. Ses fans sont bruyants, mais peu influents. Par contre, il y a aussi des personnalités dans nos médias qui tombent dans la même stratégie. À Cogeco (c’est quand même une entreprise respectable), Jérôme Landry a expliqué à son auditoire ainsi qu’à ses coanimateurs passifs que j’étais payé uniquement pour écouter la radio de Québec.

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FM93 - Jérôme Landry
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« Tsé j'veux dire, y'a des gens qui gagnent leur vie, à la radio publique, à passer leur semaine à écouter ce qu'on dit, pis à essayer de nous faire mal paraître dans leurs extraits, là. C'est leur job, ils rentrent le lundi matin, là. Olivier Niquet, là, m'a le nommer, ils rentrent le lundi matin, c'est leur job, c'est de nous écouter, pis de trouver les pires extraits de la semaine, là. »

Je reviens à mes statistiques. Sur les 1775 clips diffusés cette année, 192 provenaient des radios de Québec. C’est 10%. C’est à peu près la proportion de Québec au Québec. Surtout, il y a beaucoup de ces clips qui sont en fait des extraits d’entrevues avec les politiciens, pas des animateurs.

M. Landry n’a aucune idée de quoi il parle et c’est un auditeur qui lui a plus tard fait remarquer qu’il était dans le champ.

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FM93 - Jérôme Landry
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« Beaucoup de textos. Quelqu'un m'a écrit « La job d'Olivier Niquet, c'est de rire de tout le monde. On se calme, la paranoïa Landry. » Oui, ben en fait, je pense qu'au début, c'était… Évidemment qu'il ne fait pas juste écouter le 93. Il peut plus parce qu'on a compris ses twists. Fait qu'aujourd'hui, disons, pas qu'on a adapté notre discours, je ne pense pas, pas sur le fond, mais les pièges, on les connaît maintenant en radio. On connaît comment ces gens-là procèdent pour essayer de nous faire mal paraître. Donc, c'est un petit peu plus difficile des fois de trouver le contenu. »

J’aurais donc tendu des pièges sur les ondes hertziennes, pièges que le monsieur en question parvient maintenant à éviter. Quel délire. Ce qui est ironique, c’est que ces allusions s’inséraient dans une discussion sur la radio de Montréal vs celle de Québec. La première étant souvent scriptée, la deuxième, improvisée, nous expliquait-il en gros. Dans ce cas précis, l’improvisation fait que tout l’auditoire du FM93 a été désinformé à mon sujet.

Dernier cas, celui de Benoît Dutrizac à QUB Radio. Dans la dernière année, ce monsieur est devenu particulièrement outrancier. Il a traité des gens de Projet Montréal de débiles mentaux, Dominic Leblanc de gros, Marc Miller de tarte, et moi, de petit crosseur et de tata. Petit crosseur entre autres dans cet extrait qui a été pas mal vu sur les réseaux sociaux (allo le rage bait).

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Ce qui est paradoxal là-dedans, c’est que ce n’est pas vrai du tout que le segment de Mathieu Bock-Côté a été retiré du site de Tout le monde en parle. Cette déclaration est une crosse.

Je ne comprends pas trop quel est le rapport de dire que je n’ai rien fait dans la vie. Je ne sais pas trop ce qu’il juge avoir accompli pour avoir, lui, le droit de s’exprimer avec autorité. Il a dit la même chose au balado de Jerr Alain.

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Encore une fois ici, on laisse entendre que je traite les gens d’imbéciles en les jugeant, ce qui me semble très exactement la définition de tâche de M. Dutrizac. Il y a bien d’autres exemples. Encore récemment, Sophie Durocher écrivait dans sa chronique que je m’étais moqué des coupes chez Quebecor, alors que j’avais carrément fait le contraire.

Certains pourraient dire que moi-même, j’offre une version déformée de la réalité de ces gens en ne citant que les bouts où ils disent des niaiseries. C’est un peu vrai. Mais je n’en tire pas des conclusions à leur sujet. Je ne dis pas, « cette personne a menti à cet instant, c’est un menteur ». Ce sont des citations de choses que ces personnes ont dites et le contexte est expliqué. Ce n’est pas mon jugement de ce qu’ils ont dit, c’est ce qu’ils ont dit.

Désolé pour ce détour orgueilleux. Je voulais juste montrer que les gens qui suivent Samuel Grenier, Jérôme Landry, Benoît Dutrizac, Jerr Alain ou Sophie Durocher avaient maintenant cette idée en tête de ma personne qui ne sera jamais challengée. Comme je disais plus haut, on est impuissant devant tout ça. Ici, je prêche à des convertis. Aller argumenter avec tous leurs perroquets est une tâche impossible et vaine, comme le stipule la loi de Brandolini.

Il y a bien sûr l’option de répondre par la bouche de nos canons. User des mêmes stratégies dans l’espace public. Harnacher le rage bait et faire fi des réactions. Si j’avais mis comme titre à cet article quelque chose comme « Crosseur toi-même, Benoît Dutrizac », j’aurais attiré deux fois plus de lecteurs. Mais c’est moralement douteux et mentalement épuisant. Mon espoir pour l’instant est que, comme c’est le cas aux États-Unis, nos lanceurs de flammes se brûlent entre eux. La chicane gronde entre les diverses droites dans la sphère québécoise…

Malgré tout ça, je vous suggère de ne pas faire comme moi qui écrit un texte déprimant le 23 décembre et de plutôt réaliser que ce monde que je vous décris n’est pas celui de votre quotidien. La plupart des humains pensent bien (je sais, c’est choquant de dire ça). Couver nos liens fera peut-être que les les influenceurs du chaos recruteront moins rapidement les gens dans leur réalité alternative.

Je vous souhaite quand même un joyeux Noël et je vous reviens la semaine prochaine avec mes chansons préférées de l’année 2025.

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